RFI : le journalisme participatif ne tache pas les doigts

Dans: Entretiens| Journalisme citoyen| Médias en ligne

13 fév 2009

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Sa lecture est à la fois effrayante et salutaire. L‘ouvrage de la sociologue Sophie Falguères « Presse quotidienne nationale et interactivité » (dont on parle ici et) ne renvoie pas une image très valorisante du journaliste, lorsque celui-ci refuse à tout prix de dialoguer ou simplement d’écouter ses lecteurs-internautes.

Mais pendant que certains restent dans leur tour de verre (fragile), d’autres n’hésitent pas à mettre la main à la pâte. C’est le cas d’Anne-Laure Marie. Cette journaliste de RFI a mené pour le site web de la radio francophone RFI trois enquêtes participatives en coopération avec les membres de la communauté de l’Atelier des Médias. Durant plusieurs semaines, elle a dialogué avec les internautes, recueilli leurs témoignages, suscité les débats, pris en compte les critiques, tenté de répondre aux questions…  En plongeant les mains dans le cambouis du journalisme “participatif “, elle n’a visiblement pas l’impression d’avoir vendu son âme de journaliste.

Espritblog : Comment sont nées ces enquêtes participatives ? Est-ce vous qui avez choisi d’être le “cobaye” de cette expérimentation ?

Anne-Laure Marie : C’est moi qui en ai eu l’idée. Ma hiérarchie m’avait chargée de travailler sur l’interactivité du site et j’ai décidé d’essayer de la mettre en pratique. Pour savoir par exemple, comment se connectent les internautes africains, le public « traditionnel » de l’antenne radio de RFI. Ca m’a donné l’idée de démarrer une discussion sur le site de l’Atelier des Médias. « Afrique : comment ça va avec la fracture numérique ? » La première enquête s’est faite ainsi parce que j’avais moi-même besoin de la réponse à la question avant de pouvoir initier des services interactifs. A partir des témoignages des internautes, la question est devenue : « Pourquoi internet est si cher en Afrique ? ». Et j’avais trouvé un moyen de travailler en tant que journaliste avec la participation du public. Cela m’a immédiatement séduite.

Concrètement, à quoi ça ressemble, une “enquête participative” version Rfi.fr ?

C’est celle qui est en cours ! Ce n’est pas une boutade. A part le concept d’échange avec les internautes, la méthode reste très empirique. Pour la première, l’idée était de rassembler les gens autour de l’outil dont ils se servent pour participer au forum. J’ai commencé par des sujets qui me semblaient de nature à intéresser les membres de l’Atelier des Médias. Puisque je cherche des témoignages et non des opinions, il faut donc que les sujets puissent avoir été « expérimentés » par les participants. Et ce afin qu’ils puissent me dire : « Moi aussi ça se passe comme ça chez moi » ou bien le contraire. Il faut aussi que je puisse vérifier à distance les infos qu’ils me donnent. (…) Pour la dernière enquête, j’ai tenu à élargir le réseau des contributeurs en prévenant que celle-ci allait être lancée dans les milieux universitaires, là où les gens étaient le plus susceptibles d’être intéressés. Ca a permis d’ouvrir le panel de témoins et c’est un « plus ».

Ce qui est frappant dans la discussion avec les internautes, c’est la très faible portion de commentaires lapidaires à l’inverse d’autres sites de médias. Les témoignages souvent longs et argumentés…

Par les raisons invoquées précédemment. Ce sont des sujets dont je pense qu’ils vont intéresser les gens et sur lesquels, en tant que citoyens, ils n’ont pas l’occasion de s’exprimer. Sur l’ordinateur à l’école par exemple, l’attente est forte, les enjeux pour les pays sont forts et beaucoup de discours ne reflètent pas la réalité du terrain. C’est l’occasion de montrer les choses différemment. Et puis, je crois que les internautes africains ne sont pas aussi blasés que les autres ! Ils apprécient beaucoup que l’on travaille sérieusement sur des problématiques qui les concernent et le font donc eux aussi sérieusement. Il ne faut pas oublier non plus que la première enquête a été lancée sur une plate-forme communautaire très structurée. Montée autour de la web émission participative de l’Atelier des Médias, cette communauté est très vivante (2500 personnes) et déjà intéressée par les nouvelles formes de collaboration médiatique.

Pour vous, les informations récoltées via ces témoignages auraient pu l’être au travers d’une investigation classique ?

Dans la mesure où les contributeurs sont originaires de différents pays, il serait difficile d’imaginer récolter leurs témoignages via une investigation classique, sauf à beaucoup voyager ! Il est aussi intéressant de voir que les gens se répondent entre eux (dans le forum) et que certaines informations ne viennent donc pas de questions que je pose moi-même mais sont des réactions de confirmation ou de déni par rapport à un autre membre du forum. Sans cet apport des internautes, il est évident que je n’aurais pas trouvé les mêmes informations : comment par exemple imaginer que des professeurs soient rebutés par les cours mis en ligne parce qu’ils vendent eux-mêmes des polycopiés de ces cours, une source de revenus dont ils ne peuvent se passer ?

A “production” égale, une enquête participative demande-t-elle plus de temps qu’une enquête plus classique ?

Oui, parce que le rythme doit être coordonné entre les contributions sur le forum, les interviews de spécialistes, les commentaires à ces interviews (que je mets en ligne intégralement sur le forum). Bref c’est un « travail d’équipe ». Il faut également souvent relire les commentaires pour en extraire les passages les plus frappants. Cela peut se faire en partie «  au fur et à mesure ». Mais comme pour un montage (radio) classique, il faut bien attendre d’avoir toute la matière avant de rédiger l’attaque et la chute.

On a l’impression d’un renversement des rôles. Longtemps, c’était le lecteur qui aurait souhaité dialoguer avec le journaliste. Là, c’est un peu l’inverse : on sent que vous “mettez en scène” et “animez” les débats, en jetant des pistes, des ponts, en suscitant des réactions.

J’ai toujours considéré ce métier au sens littéral du terme comme le moyen de « faire lien » – (médium – au sens journalistique !) entre les gens. Là, j’ai l’occasion de le mettre en pratique et c’est très intéressant. Car au bout d’un moment, en tant que journaliste, on pose ses questions parce que l’on connaît les réponses qui nous intéressent et qu’on veut qu’elles soient dites. Là, effectivement, il s’agit davantage de modérer un débat avec une salle de gens qui vivent le sujet et de trier ensuite les infos. C’est effectivement plutôt un rôle d’animateur

Vous dites quelque chose de très intéressant dans le compte-rendu que vous avez publié suite à la première enquête : « Je me suis demandée si vous aviez lus (les articles finaux) ou si vous étiez plus intéressés par la discussion en elle-même ». Finalement, n’est ce pas ça, l’avenir du journalisme : plus de “produit fini” et une “construction et un dialogue permanents ” ?

Peut-être. Dans le cas des internautes africains, je crois effectivement que le plaisir et le besoin de contribuer à la fabrication de l’information leur importent davantage que les articles qui sont issus de l’enquête. Ce sont souvent les Européens qui travaillent dans les associations qui me disent : « Super, c’est tout à fait cela qu’on vit. ». En outre, les internautes sont de plus en plus nombreux à me proposer eux-mêmes des sujets ou des angles, ce qui montre que le processus les intéresse.

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Avis personnel.  Tout n’est évidemment pas parfait dans ces enquêtes participatives. Selon moi, il y a deux écueils principaux, principalement techniques.

  • Le premier concerne l’outil forum pour suivre la discussion. Je trouve qu’il est difficile pour un nouvel arrivant de rejoindre la conversation, de retrouver le fil des débats. Et ce malgré les mini-synthèses que la journaliste a fait au cours des débats. Il faudrait inventer de nouveaux outils participatifs mieux adaptés, comme Eco89 a pu le faire par exemple avec sa boîte à questions. Il faudrait également, il me semble, une chronologie plus claire et mieux mise en scène.
  • Le seconde concerne la forme de la publication finale des enquêtes. La densité des contributions (150 messages pour la dernière enquête) ne transparaît dans le format de l’article,  façon Rue89 (texte entrecoupé de modules audio). Il faudrait là aussi inventer un système pour mieux “mettre en scène” toutes ces contributions. Peut-être par une cartographie ou un système de tags.

En revanche, l’implication de la journaliste, sa bonne gestion des contributions et la qualité journalistiques des enquêtes sont exemplaires.

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